Morts-vivants
Elle l'avait presque aimé, peut-être aimé tout court, ne chipotons pas. Ces sensations jubilatoires et exubérantes comme des bulles de champagne, ces reflets déformants mais enivrants du miroir amoureux, ils avaient donné un intérêt à ce qui n'en avait pas, et elle s'y était accrochée et envolée, laissée tirer hors d'elle et de ses ornières. Ces films de zombis, ces thrillers sanglants, ces hommes dotés d'armes monstrueuses qu'il adorait, elle ne voulait pas rabaisser son plaisir, elle ne pouvait pas dévaluer ses goûts, elle était déterminée à les aimer aussi. Un moment, elle les avait aimés.
Et puis, sur une porte étroite, elle avait entendu ses propres goûts et dégoûts, prix et mépris, frapper, d'abord très délicatement, presque de façon inaudible, et progressivement de plus en plus fort. Elle ne pouvait plus faire la sourde oreille. Et son manque d'enthousiasme face aux zombis débordait, inondait leur relation, noyait de doute la vision dorée à laquelle elle s'était abandonnée - maintenant, malgré elle, elle éprouvait un vague mépris pour lui.
"Je ne me sens pas très bien. Je vais rentrer."
Inquiet, Marc la regarda. Elle n'avait pas l'air si malade. Il n'imaginait pas manquer L'Armée des Zombis. Il y avait pensé toute la semaine.
"Tu es sûre? Ca te ferait du bien."
Elle était sûre. Plus jamais elle ne voulait voir un seul zombi. Elle laissa Marc interloqué devant le cinéma.
Cela faisait trop longtemps qu'elle délaissait son Prince. Elle l'entendait maintenant. Il l'appelait.
L'infidélité faisait partie de leur contrat, mais c'était lui le compagnon de ses rêves, celui qui creusait jusqu'au fond de son être pour s'y faire une place sans la gêner, le baume magique qui apaisait les plaies douloureuses de son coeur.
Elle prit son livre et s'allongea. Elle regarda le plafond, écarquilla les yeux. Il n'y avait personne. Elle attendit un peu.
L'Idiot vint s'asseoir sur le banc, près d'elle. Ce n'était pas le même soleil qui éclairait le parc. Les couleurs avaient d'autres teintes, des rythmes secrets en accord avec les battements de son coeur. Mais Mychkine était pâle, presque diaphane. Il semblait ému d'une façon extraordinaire. S'animant soudain, il murmura:
Je ne vous ai pas demandée en mariage... mais... vous savez bien comme je vous aime et comme je crois en vous... même maintenant...
Elle sourit. Elle quittait le tombeau de la vie, pénétrait dans ce monde flottant où les histoires décevantes du réel se craquelaient, elle était de nouveau créée par son amour de rêve.
Cardamone
pour l'atelier d'écriture de Leiloona