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Morts-vivants

24 Novembre 2013 , Rédigé par Cardamone Publié dans #Contes et histoires

http://www.bricabook.fr/wp-content/uploads/2013/11/Sans-titre.jpg

     © Kot

 

 

Elle l'avait presque aimé, peut-être aimé tout court, ne chipotons pas. Ces sensations jubilatoires et exubérantes comme des bulles de champagne, ces reflets déformants mais enivrants du miroir amoureux, ils avaient donné un intérêt à ce qui n'en avait pas, et elle s'y était accrochée et envolée, laissée tirer hors d'elle et de ses ornières. Ces films de zombis, ces thrillers sanglants, ces hommes dotés d'armes monstrueuses qu'il adorait, elle ne voulait pas rabaisser son plaisir, elle ne pouvait pas dévaluer ses goûts, elle était déterminée à les aimer aussi. Un moment, elle les avait aimés.

Et puis, sur une porte étroite, elle avait entendu ses propres goûts et dégoûts, prix et mépris, frapper, d'abord très délicatement, presque de façon inaudible, et progressivement de plus en plus fort. Elle ne pouvait plus faire la sourde oreille. Et son manque d'enthousiasme face aux zombis débordait, inondait leur relation, noyait de doute la vision dorée à laquelle elle s'était abandonnée - maintenant, malgré elle, elle éprouvait un vague mépris pour lui.

"Je ne me sens pas très bien. Je vais rentrer."

Inquiet, Marc la regarda. Elle n'avait pas l'air si malade. Il n'imaginait pas manquer L'Armée des Zombis. Il y avait pensé toute la semaine.

"Tu es sûre? Ca te ferait du bien."

Elle était sûre. Plus jamais elle ne voulait voir un seul zombi. Elle laissa Marc interloqué devant le cinéma.

 

Cela faisait trop longtemps qu'elle délaissait son Prince. Elle l'entendait maintenant. Il l'appelait.

L'infidélité faisait partie de leur contrat, mais c'était lui le compagnon de ses rêves, celui qui creusait jusqu'au fond de son être pour s'y faire une place sans la gêner, le baume magique qui apaisait les plaies douloureuses de son coeur.

 

Elle prit son livre et s'allongea. Elle regarda le plafond, écarquilla les yeux. Il n'y avait personne. Elle attendit un peu.

 

L'Idiot vint s'asseoir sur le banc, près d'elle. Ce n'était pas le même soleil qui éclairait le parc. Les couleurs avaient d'autres teintes, des rythmes secrets en accord avec les battements de son coeur. Mais Mychkine était pâle, presque diaphane. Il semblait ému d'une façon extraordinaire. S'animant soudain, il murmura:

Je ne vous ai pas demandée en mariage... mais... vous savez bien comme je vous aime et comme je crois en vous... même maintenant...

Elle sourit. Elle quittait le tombeau de la vie, pénétrait dans ce monde flottant où les histoires décevantes du réel se craquelaient, elle était de nouveau créée par son amour de rêve. 

 

Cardamone

pour l'atelier d'écriture de Leiloona

 

 

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N
<br /> Je ne sais si " la beauté sauvera le monde ", mais je suis bien certain que celle des rêves sauve nos mondes intérieurs.<br /> <br /> <br /> Quel bel écrit où la lecture et son prince lui rendent sa vie, cannibalisée qu'elle commençait à être par les zombies !<br /> <br /> <br /> as tu lu un roman simple et délicieux : " Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates " de trois auteurs si je me souviens bien. Une des protagonistes doit se marier , persuadée<br /> d'être amoureuse, mais un jour dans sa bibliothèque ... Non je ne t'en dis pas plus... Bref ( je suis long ce soir ) le retour à elle même de ton héroïne me fait penser à ce passage. Bonsoir<br /> Cardamone.<br />
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C
<br /> <br /> Non, j'avais hésité, et puis je ne l'ai pas lu, mais tu sais donner envie! Et me faire très plaisir par tes beaux et longs commentaires! Je ne sais pas non plus si la beauté sauvera le monde,<br /> mais malgré la fin du roman qui n'incite pas à le croire, c'est une phrase qui reste dans la tête, qu'on ne peut s'empêcher de méditer et reméditer.<br /> <br /> <br /> <br />
Y
<br /> J'adore la réflexion qui se dégage de ton texte ! Cette façon de s'oublier parce qu'on aime, renier une partie de soi, ça doit être fréquent mais quand les bulles ont fini de pétiller on se<br /> retrouve face à une réalité qui ne convient pas... J'aime beaucoup le contraste entre les deux univers et bien sûr ton écriture toujours poétique même pour parler de zombies !<br />
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C
<br /> <br /> Rooh merci Yosha pour ta lecture attentive et si bienveillante! Passe un très bon week-end!<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Cet idiot, je crois qu'il accompagnera toujours les lecteurs de Dostoïevski. La vraie vie est dans les livres, dont les héros toujours vivants ne sont jamais des zombis.<br />
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C
<br /> <br /> Merci Carole pour ta belle compréhension!<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> Entre rêve et réalité, tu sais que j'adore ça. Ce texte, en l'occurence, décrit fort bien la puissance de l'imaginaire face à une réalité fadasse. Est-ce un bien ou un mal ? Vas savoir...<br />
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C
<br /> <br /> Après toutes ces années je m'interroge encore... Il n'est pas tout à fait impossible qu'une belle fuite imaginaire vaille mieux que d'amères ruminations d'un réel morose<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> C'est drôlement bien Cardamone... Voilà une belle idée que de mettre en défi l'univers fantastique des zombis au cinéma (bof...) et la littérature classique qui nous porte encore toujours en<br /> aventure humaine. Bien sûr, les deux univers ont leur public et leur intérêt mais les possibilités infinies de la lecture - non limitée par le visuel imposé- restent évidentes.<br /> <br /> <br /> Jonas<br />
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C
<br /> <br /> Merci Jonas! Oui, l'aventure humaine à laquelle nous invite L'Idiot est extraordinaire!<br /> <br /> <br /> <br />
E
<br /> Bonsoir Cardamone, ravie de retrouver tes mots joliment écris Surtout la dernière phrase, elle est magnifique ! Parfois, la réalité est tellement insupportable que le rêve l'emporte<br /> inexorablement... A bientôt<br /> <br /> <br /> Esclarmonde<br />
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C
<br /> <br /> Bonsoir Esclarmonde! Ca fait bien plaisir de te revoir ici! Je crois que mon texte aurait besoin d'être retravaillé mais ton com me réconforte! Merci!<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> C'est étonnant comme la deuxième partie de ton texte glisse vers quelque chose de complètement onirique : le réel et la fiction s'entremêlent ... Du moins, c'est ainsi que je l'ai lu. :)<br />
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C
<br /> <br /> Tu as bien lu Leiloona, sa rêverie amoureuse sur le personnage de Dostoievski devient pour elle plus forte que sa relation amoureuse réelle mais décevante.<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> Parfois, il est tellement bon de se réfugier dans les rêves. "Le tombeau  de la vie", expression dure, mais tellement imagée. Ton texte décrit une réalité difficile.<br />
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C
<br /> <br /> Oui, tu as raison Jacou, c'est un moment difficile pour elle, avec la fin de la fusion amoureuse, la réalité devient à ses yeux bien décevante.<br /> <br /> <br /> <br />