Trop près
Kyosuke Tchinai
Les gens, quand on les voit de trop près trop longtemps, on finit par remarquer tous leurs moindres défauts. Je ne pouvais plus la supporter. J'avais juste besoin de prendre un peu de recul. Ils sont nombreux sans doute aujourd'hui ceux qui souffrent de la solitude, mais moi à cette époque, sans vouloir vous choquer, j'aurais joyeusement échangé ma place avec eux. Je n'en pouvais plus, j'étouffais et ça elle ne pouvait pas le comprendre. Elle avait trop d'histoires dans la tête, elle vénérait l'Amour comme une vraie fanatique - persuadée de détenir la Vérité, prête à brûler les impies. J'ai bien essayé de lui expliquer que la fusion, ça ne se vivait pas sur le long terme, que maintenant il fallait passer à autre chose - crise de larmes et de cris - des insultes inouïes, des mots horribles à vous coincer la boule au ventre. Des menaces. Une fois, elle s'est même ouvert les veines. Vous auriez fait quoi? J'étais prêt à jouer le rôle du méchant, mais comment amortir sa chute?
Je me suis longtemps creusé la tête. Et puis j'ai pris rendez-vous avec un pote - pas un comme moi, non, un sensible. Au départ, je me disais qu'il en saurait peut-être plus, qu'il comprendrait quoi faire. Mais je n'ai pas réussi à lui en parler, non. Que voulez-vous, on a sa fierté. Vous pouvez comprendre ça, n'est-ce pas?
Je l'ai de nouveau invité à boire une bière, c'était une très belle fin d'après-midi, au mois de mai. Le plaisir de retrouver les terrasses des cafés, je ne suis pas du genre à le snober, mais là j'ai oublié. Enfin, oublié n'est peut-être pas le mot exact... Séverine y est allée. Je ne sais pas comment ça s'est passé. Sans vouloir me vanter, quand on ne la connaît pas, elle a un vrai charme. Elle a commencé à s'éloigner de moi. Je ne leur en ai pas voulu - l'ai joué grand seigneur - on reste amis - si tu as besoin de moi surtout n'hésite pas, je serai toujours là pour toi. Le genre de salades habituelles. C'est toujours un drôle de moment une rupture, on fait comme on peut vous savez, déjà que ce n'est pas facile de se dire au revoir sur le quai d'une gare.
Bien sûr on ne s'est pas donné de nouvelles. C'était le printemps, j'avais retrouvé la liberté, j'étais léger, joyeux, insouciant - de nouveau vivant. Oui, vivant.
Pas comme Marc... Séverine l'a... crime passionnel... Vous pensez, ça a fait la une des journaux ici, tout le monde en causait. Moi qui le croyais plus malin que moi... Comme quoi on peut lourdement se tromper sur les gens...
Cardamone
pour l'atelier d'écriture de Leiloona