Un couple presque parfait
@ Kot
Un couple presque parfait. Deux esprits vagabondeurs qui avant la rencontre s'inquiétaient pour leur intégrité mentale et se retenaient de semer à tous vents leurs graines de folie douce. Finis les jours poisseux où ça s'engluait avec du mal à respirer à force de faire les choses sans y croire sans y être juste parce qu'il faut bien c'est comme ça combattre les moulins à vent à mains nues non rien à faire consommer c'est ça tout est consommé colonisé même les beautés rebelles écrasées laminées recyclées rien à dire pas d'alternative. Et puis la chanson dans leur tête Tu m'as pris par la main dans cet enfer moderne, ça courait dans leur corps, parcourait les pièces les plus secrètes et oubliées, y ranimait la vie, des envies bizarres comme celles des femmes enceintes.
Une envie d'horizon plus vaste, de camaraderie joyeuse et combative faisant éclater la petite boîte grise et étriquée du chacun chez soi. Face aux prédateurs, la dispersion des plus fragiles, c'était le carnage assuré.
La vie militante, c'est lui qui l'avait voulue, mais il se lassait vite, ne supportait pas de répéter deux fois la même idée. Elle était tenace, inlassable, il l'avait convaincue, sortie de son sommeil, on pouvait raconter une autre Histoire, et elle joua un rôle dont on se souviendrait longtemps dans la lutte contre l'ascension du pire qui, sans elle, sans lui donc, sans tous ces je éclatés qui s'étaient rassemblés, aurait été considérée comme irrésistible.
Ses silences, beaucoup auraient été incapables de les supporter - leur complicité les transformait pour elle en invitations à de secrets voyages Trace ton chemin toi aussi dans ton monde intérieur, sois assurée qu'on se retrouvera au détour d'une route, et tu sais bien, je courrai vers toi, tu voleras dans mes bras dans un éclat de rire, on sera bien.
Elle l'inspirait. Il avait inventé pour elle des contes qu'elle illustrait. Gros succès. Ils avaient dû batailler pour éviter l'écoeurement des flots de calendriers, cahiers, agendas... Et puis, il avait écrit des romans. Ils s'asseyaient dans le canapé du salon, il la regardait si proche, si belle, concentrée, le lire, ses doigts tendres sur ses pages, sur ses mots qui cherchaient toujours la lumière de ses yeux, il écoutait avidement ses conseils, ça débloquait tout, ça l'entraînait là où il n'aurait jamais cru pouvoir aller. Il était devenu un très grand écrivain.
C'était ça et bien d'autres choses qu'ils voyaient les Anges, les frissons, les extases, les petits riens des défis quotidiens, les enfants et petits enfants, les coups et contre-coups aussi, mais ils se relevaient, deux éléments qui frottés l'un contre l'autre produisaient des étincelles, de la chaleur. Ils étaient tout excités en les poussant à s'asseoir sur le même banc. Luc lisait Le Rouge et le noir, Jeanne adorait ce livre, elle engagerait la conversation... Elle le regardait déjà avec ce petit sourire qui réchauffait le coeur. Elle détourna la tête, fouilla dans son sac, sortit son portable et lut le SMS que Mélanie venait de lui envoyer:
- Tu viens ce soir?
- Trop fatiguée
- Viens! Il y aura Kevin
- Pas mon genre
- Jms ton genre! Arrête de te cloîtrer! Tu passes à côté de la vie. Viens!
Mélanie n'avait pas tort. Peut-être qu'elle irait, il fallait qu'elle se ressaisisse, qu'elle arrête d'attendre le Prince charmant, se dit Jeanne en montant dans le métro. Dans son esprit, dans son univers, il n'y avait plus trace déjà de ce lecteur de Stendhal qui avait une fraction de seconde attiré son attention.
Cardamone
pour l'atelier d'écriture de Leiloona