Mélodie II
Souvent il y avait six ânes dans le champ à côté. L'étrangeté, la drôle de puissance un peu désespérée de leur braiment résonnait comme une réponse assez appropriée au moisi de la vie. Pour être tout-à-fait honnête, une relation particulière, quelque chose de précieux, s'était développé entre la jeune femme et ces voisins, surtout l'un d'entre eux, qui avait deux taches blanches autour des yeux.
Mélodie était certainement plus réfléchie, rationnelle et logique que la moyenne humaine. Froide comme un glaçon, disait déjà sa mère en éclatant de ce rire sensuel et charmeur dont la petite fille avait cherché méthodiquement et vainement à percer le sens, ma fille passe sa vie à penser. Si elle pouvait me disséquer comme une grenouille pour voir comment je fonctionne, elle le ferait avec un sérieux imperturbable et une satisfaction purement intellectuelle. Pas de haine chez ma fille, pas d'amour non plus, pas d'idées vagabondes. Mon exact et cher contraire.
Pourtant Mélodie ne pouvait se départir de l'idée que cet âne entrait en communication avec elle, comme par télépathie. Ce qu'ils échangeaient restait certes très flou mais, elle en était persuadée, une sorte de relation profonde et étrangement bienfaisante s'était nouée entre eux.
Sans doute la solitude qui me tape sur le système, se disait Mélodie. Bah, je ne serai jamais aussi folle que si je vivais en société.