Le Père Noël n'existe pas
Elle a l'air coincée dans une vie qui n'est pas à elle. Il y a eu un moment où elle s'est trompée de route, peut-être, et voilà. Maintenant elle ne sait même plus où elle est.
Perdue dans une foule affairée, elle se laisse porter. Elle sera seule à Noël, et puis elle n'a pas d'argent à dépenser, elle n'aurait pas dû sortir, mais elle est là dans la foule, alors elle fait semblant, comme si elle était comme les autres. Elle a juste un peu envie de pleurer. D'ailleurs elle s'entend pleurer. mais ce n'est pas elle. C'est le père Noël, assis sur le pas d'une porte. Tout le monde passe sans le voir. sans trop savoir pourquoi ni comment elle résiste au mouvement de la foule, c'est plus facile qu'elle n'aurait cru, elle arrive à se faufiler près du Père Noël. Elle s'asseoit à côté de lui. Elle n'a rien à lui dire en fait, mais elle lui tend un mouchoir. Elle aimerait lui demander pourquoi il est triste, mais elle n'ose pas, c'est souvent un peu compliqué à expliquer, elle le sait bien. C'est plus facile quand on a bu, alors elle lui propose de venir prendre un verre chez elle.
Pendant qu'elle débouche la bouteille et qu'elle ouvre le sachet de cacahuètes, il enlève son manteau rouge, le coussin dessous, et sa barbe aussi. Il est beaucoup plus beau ainsi, c'est moche en fait les costumes de Père Noël. En même temps, si elle avait su qu'il était beau, elle ne l'aurait jamais fait monter chez elle, elle n'aurait pas osé, elle est comme ça. Et elle est contente qu'il soit là, même s'il n'est pas très causant, même si les pauvres mots qu'ils arrivent péniblement à échanger n'ont rien de renversant. Peu importe les mots pourvu qu'il y ait contact humain. Un peu plus que ça, elle entend comme une musique, une musique sexuelle, de boire dans sa cuisine avec cet homme qu'elle trouve attirant, elle a envie de fermer les yeux pour mieux l'écouter, cette musique, ça lui brouille la bouche, elle a du mal à parler. Elle aimerait qu'il mette ses grandes mains sur son corps, se sentir serrée par le Père Noël, ça, ça la ferait vibrer, qu'il l'arrache de son engourdissement, qu'elle devienne vivante, même sans tendresse, même pour un tout petit moment, même si ça laisse un goût un peu amer après. Lui aussi il aimerait ça, même la tendresse, il serait pour. Mais ils n'osent pas bien sûr, ni l'un ni l'autre. Bientôt il lui dit merci, et passez de bonnes fêtes, et elle merci vous aussi, et il s'en va.