Changement d'air
Pimprenelle et Cunégonde avaient besoin de changer d'air. Le leur était un peu usé, il devenait parfois malaisé de respirer.
Bien sûr, les congés payés avaient été supprimés - payer les gens à ne rien faire, c'était une idée saugrenue et véritablement archaïque. Les citoyens ayant quelques années plus tôt accepté sans bronchement majeur la suppression des retraites, on était fondé à considérer que l'élimination des temps économiquement non valables relevait de la volonté générale.
C'était donc un gouvernement arborant une étiquette "de gauche" qui avait mené à bien cette nécessaire réforme découlant des lois incontestablement économiques. Mais à cette époque il était délicat de s'y retrouver tant un politique estampillé à gauche se devait d'être à droite et soumis aux volontés des plus fortunés pour être jugé convenable et respectable par le monde médiatique et bien pensant. Les partis les plus à droite quant à eux apportaient consciencieusement leur pierre à ce jeu si amusant de désorientation collective en affirmant n'être ni à droite ni à gauche, petit test facétieux visant vraisemblablement à déterminer jusqu'à quel point on pouvait ostensiblement prendre l'électeur pour un crétin.
Mais le monde où vivaient nos deux héroïnes était un monde vraiment merveilleux et si l'on en avait les moyens on pouvait se rendre au CCA - Centre de Changement d'Air - et s'offrir une bouffée d'air frais et régénérateur.
Aussi avaient-elles durement économisé, supporté vaillamment les brimades de leur N+1, N+2, ainsi que de leur directeur général, aidées en cela par des formations très enrichissantes et très humanistes visant à faire d'elles des serpillères heureuses.
Malgré cela, les moyens de Pimprenelle et Cunégonde restaient quelque peu limités mais Cuné était tombée sur l'affaire du siècle, vacances virtuelles sur une plage de rêve qu'elles pouvaient s'offrir sans avoir à s'endetter.
C'est avec le sourire aux lèvres qu'elles s'installèrent dans leur couchette vacancière. Pas de crise de nerfs dans les embouteillages, pas de vacances gâchées par les aléas météorologiques, pas de pannes de voiture ni de bruits intempestifs - tout ne pouvait qu'être parfait.
Leur voyage commença par une très jolie publicité pour une boisson mondialement pétillante et rafraîchissante dont le goût savoureux flatta délicieusement leurs papilles, auquel succéda un moment de pur bonheur quasi spirituel et sans logo, planche dans les vagues turquoise, peau caressée par un bienveillant soleil, et soudain désir de mordre une de ces spécialités culinaires plébiscitées par tous les peuples du monde, en compagnie de deux jeunes mâles aux dents blanches continuellement souriantes y compris lorsqu'elles s'attaquaient joyeusement à leur immense burger.
Quelques pas sur le port en leur si charmante compagnie au grandiose coucher du soleil et le bisou final signala qu'on en était hélas déjà à la happy end de ce bel et impeccable bien que trop court voyage.
Elles avaient tellement hâte de repartir! mais étrangement encore davantage de se précipiter au Mac Ro qui se trouvait juste à la sortie du CCA - le hasard faisant quand même sacrément bien les choses dans le monde merveilleux de Pimprenelle et Cunégonde.