La fille magique.
Le premier jour, quand le tram s’est arrêté, ses deux portes bien en face d’elle, j’ai juste levé un sourcil et je n’ai rien dit…Mais le lendemain lorsque la voix dans le haut parleur à susurrer « Porte Dunoise » et que Ping ! ça a recommencé et les portes se sont ouvertes comme pour lui faire honneur…Là, mon sang n’a fait qu’un tour. Il y avait un truc louche, pas banal, inhabituel, qui se passait avec cette fille. Alors j’ai commencé à l’observer. Elle était fort subtile, et pour percer à jour cette mystérieuse, il m’a fallut du temps car tout le monde semblait indifférent à ce qui émanait d’elle. Rien que cela, ça prouvait qu’elle était étrange. Un jour , j’ai déboulé dans la rame comme un bouchon de champagne que l’on fait sauter, les cheveux collés à la figure, et les vêtements à deux doigts de s’intégrer à mon épiderme tellement ils étaient trempés. Le temps de me rétablir, je lève les yeux et qui est là paisible, plongée dans sa lecture ? la fille. Dehors, la pluie n’en finissait pas de pleurer sur tout le monde, les parapluies s’en retournaient, les chaussures giflaient les flaques, et elle…un petit sourire fin sur les lèvres tournait comme on manipule une plume, les pages de son petit livre. Et soudain, le comble, dehors la pluie cesse aussi brutalement qu’elle a commencé. Les nuages s’écartent, et un faisceau de lumière perce leur noirceur, et vient directement caresser la vitre contre laquelle la fille est appuyée. Cela fait comme le halo d’un projecteur pointé sur elle, et on ne voit plus qu’elle, que sa peau blanche, et ses doigts tournant les pages et sa tête inclinée vers son livre. Je me tourne pour prendre à témoin quelqu’un autour de moi, mais les uns reprennent leurs souffles, les autres dodelinent de la tête une chanson aux bords des yeux, tandis que plus loin on donne toute son énergie à la rédaction d’un « je rentre de suite » vital…Personne en tous cas ne voit ce qui se passe. Quand elle descend, le temps est redevenu doux, mais moi je brûle de savoir le pourquoi du comment. J’ai manqué mon arrêt mais tant pis je dois savoir ! Alors, je la suit et je sais très vite que j’ai raison. Qui peut marcher sur un triste trottoir goudronné et voir les pétales des fleurs des arbres tourbillonner comme à une fête folle dans son sillage ? Qui peut poursuivre sa lecture et traverser la rue au feu vert en ayant ainsi pas besoin de lever le nez de la ligne entamée ? J’étais dans la boulangerie quand elle est rentrée, elle n’a rien dit juste sourit à la boulangère qui lui a remis enchantée une baguette de pain blonde et chaude, en lui souhaitant une bonne soirée. Un dixième de seconde après, c’est cette même boulangère qui m’assène un froid « et pour Madame ça sera ? » qui me laisse bouche bée, soufflée et sans pain. Plus tard quand elle décide d’aller au cinéma je lui emboîte le pas. Elle se range en file avec les autres et l’attente commence. Puis je la vois lever le menton et se hausser sur la pointe des pieds, dardant un regard interrogateur vers le type de la sécurité qui aussitôt se met à dire bien fort le titre d’un film. Un mouvement dans la file on s’entre regarde pour savoir qui veut de ce titre là, et on s’écarte pour laisser passer, cette seule et unique même fille qui de son pas calme et joyeux s’avance… A la nuit tombée, elle reprend sa déambulation dans les rues, il est 22h passé, elle est toujours aussi fraîche, tout juste si une petite mèche s’échappe de son chignon. Elle marche sans faire de bruit, rapide . Elle s’engage sur le pont Georges V, comme si elle s’élançait sur scène. Sa main sautille sur le parapet de pierre, tandis que la Loire, j’en suis certaine lui chante quelque chose de spéciale en clapotant d’une manière inédite et heureuse. J’en ai assez vu, j’ai envie de l’attraper par les ailes qu’elle n’a pas, pour la scruter et découvrir sa magie. Comme elle s’éloigne je note que les lampadaires brillent quand elle passe, puis clignote et s’éteigne lorsque je suis en dessous. Je lève la tête pour gronder l’un d’entre eux…Belle erreur ! quand je veux de nouveau suivre la fille, elle a disparu. Je cherche partout autour de moi, j’ai presque envie de pleurer, la fille magique s’en est allée dans la profonde nuit étoilée !
Bergamotte